Y a-t-il un Vilebrequin pour sauver le Mondial de l’Automobile (et les salons de l’auto en général)
Octobre 2008. J’ai 13 ans, et déjà une passion bien ancrée pour l’automobile. Et cette année, j’ai convaincu mon père de m’emmener au Mondial de l’Automobile de Paris ! Lever aux aurores, train, Thalys, métro, et nous voilà en train d’arpenter les allées du plus grand Salon automobile européen. Cette immense vitrine automobile qui accueillait cette année-là 90 premières mondiales (oui, « quatre-vingt-dix » !) était mon Disneyland à moi, et faire quelques minutes de file pour approcher une Porsche, une Rolls ou une Lamborghini me procurait autant d’émotions qu’un tour de Space Moutain (bien que je n’y sois jamais monté, mais c’est une autre histoire…).
En 2022, quel ado rêve encore de pousser les portes des pavillons de la Porte de Versailles ? Entre les stands d’une pauvreté et d’une taille affligeantes (3 voitures chez Jeep, 7 chez Peugeot, 4 chez DS), des allées larges et vides comme des autoroutes nord-coréennes, et un salon qui se cantonne à deux pavillons où même la moquette a décliné l’invitation des organisateurs, cette édition transpire la star en déclin. Un peu comme ces sportifs qui auraient pu s’arrêter sur un succès (plus d’un million de visiteurs en 2018) mais qui font « la saison de trop ».
Et ce n’est pas Renault, seule grande marque qui semble avoir joué le jeu de la fête qu’est censée être un salon - avec ses marques satellites (Dacia, Mobilize et Alpine) - qui peut seule sauver les meubles, même en jouant sur la fibre nostalgique des 4L et R5 exposées. Et il serait tout à fait illusoire de penser que ce sont les constructeurs chinois ou les « nouvelles solutions de mobilité » qui vont décider le peuple à débourser 16 à 30€ (!) pour pénétrer dans ce qui s’apparente à une foire automobile du Berry (très jolie région par ailleurs). Non, vraiment, l’adolescent de 2022, aux réseaux sociaux, n'a plus aucune raison d’aller à ce Mondial«-eke », comme on dirait à Bruxelles.
Ou plutôt, si, une seule. Justement parce qu’il a été bercé aux réseaux sociaux, le jeune passionné d’auto sera prêt à investir sa semaine d’argent de poche pour découvrir le fabuleux Milletipla : un Fiat Multipla bodybuildé de 1.000 chevaux créé par la chaine YouTube Vilebrequin, aux 2 millions d’abonnés. Et qui sait, peut-être même rencontrer ses idoles (Sylvain Lévy et Pierre Chabrier, les deux fondateurs de la chaine) pour une photo souvenir et une dédicace. Volontairement ostentatoire et bruyant (car ils ne se privent pas de faire ronronner le V8), le Milletipla dénote dans ce salon où l’austérité règne en maitre, et le stand tout entier, avec ses Lancia Stratos, Pagani et Citroën Saxo qui a connu des jours meilleurs (toutes des voitures vues dans leurs vidéos) apporte un peu de fraicheur à l’ambiance aseptisée.
Un peu plus loin, il pourra aussi admirer la Ferrari « Pogdarmerie » de Pog, célèbre youtubeur belge qui compte 1,2 million d’abonnés. Voilà ce qui peut sauver le Mondial de la déroute, et continuer à intéresser les jeunes à l’automobile !
Vous ne me croyez pas ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Pas plus tard que le 8 octobre dernier, Squeezie, influenceur français le plus… influent a rassemblé 22 youtubeurs pour une course de F4 sur le circuit Bugatti du Mans. L’événement a rassemblé près de 40.000 spectateurs dans les tribunes du circuit de la Sarthe, en plus d’exploser le record de vues (plus d’1 million de spectateurs en simultané !) sur la plateforme de streaming Twitch.
Souvenez-vous également de la soirée organisée par Pog au salon de l’auto de Bruxelles en 2020. Le youtubeur avait mis le feu au palais Dreamcars pour une soirée privée qui avait réuni plus de 4.000 fans !
Il serait donc fou pour les organisateurs d’événements autos de ne pas donner plus de visibilité à ces énormes vecteurs de public pour tirer leur fréquentation vers le haut.
Alors bien sûr, cela ne suffira peut-être pas à faire revenir les constructeurs, qui argueront que le public de YouTube n’est pas un public « qualifié », comprenez par-là « susceptible d’acheter » une voiture. C’est vrai. Mais c’est aussi l’un des buts d’un salon automobile : faire rêver ! Hors, un SUV électrique inaccessible au commun des mortels comme on nous en livre à la pelle aujourd’hui ne fait certainement pas rêver…