Miki Biasion inquiet pour l'avenir du WRC : « La FIA fait l'inverse de ce que les constructeurs demandent »
Nous étions convié ce mardi au garage Renga à Gilly pour la présentation de la Lancia Ypsilon HF Rally4 qui débutera en rallye en Italie (et peut-être quelques apparitions mondiales) l'an prochain. Et devrait débuter en Belgique en 2026. Cette mécanique 208 en fait avec une carrosserie de Lancia (on reste dans le groupe Stellantis) est très jolie avec une déco faisant référence aux célèbres couleurs Martini et aux 17 couronnes mondiales de la marque la plus titrée en rallye. « La compétition est un excellent outil de marketing, » nous confie un représentant de la marque mettant en avant l'élégance italienne. « C'est dans notre ADN et naturel pour nous de revenir avec une nouvelle voiture en rallye. La catégorie R4 est utilisée par 60% des participants. C'est l'idéal pour des jeunes souhaitant débuter. Cette traction de 280 chevaux roule déjà en tests et sera dispo dès 2025. »
Il s'agit donc de la base déjà éprouvée de la Peugeot 208 Rally4.
Cette présentation a surtout été l'occasion pour nous de bavarder un peu avec le double champion du monde (1988 et 1989) Miki Biasion devenu, à 66 ans, ambassadeur de la marque.
« J'ai disputé mon dernier rallye en 2014, il y a tout juste dix ans, » nous explique-t-il. « Depuis, je me suis spécialisé dans la restauration des Lancia de compétition et j'organise une foire du Motorsport dans une ville près de Venise qui a attiré 12.000 spectateurs l'an dernier. »
« Quand je vois passer Neuville, Ogier ou Tanak, je me dis qu'ils sont fous ! »
Est-il encore possible de comparer les épreuves modernes avec les rallyes des années 80 ?
« Le but reste toujours d'aller le plus vite possible sur des petites routes d'asphalte ou de terre avec des autos. Quand je vois passer les pilotes actuels du WRC, je me dis que ce sont des fous. Mais peut-être l'étions nous nous aussi à l'époque avec des voitures qui allaient moins vite certes, mais aussi beaucoup moins de sécurité. C'est ce qui a le plus évolué. A l'époque, les rallyes étaient plus longs, même les manches nationales. Quand j'ai gagné Ypres en 1983, je crois que mon temps total était de 7h, trois fois plus qu'aujourd'hui. On était dans les voitures toute l'année entre les recos de parfois deux semaines, les tests et les rallyes. Aujourd'hui, tout se passe en six jours. Je dirais qu'à l'époque, on allait vite avec un gros coeur. Aujourd'hui c'est plus avec un computer, en regardant les vidéos. Le monde a changé, le rallye aussi, mais cela reste à mes yeux la discipline la plus spectaculaire du sport automobile. »
Vous vous rendez encore régulièrement sur les manches du WRC ?
« Deux à trois fois par an oui. Mais je ne vais pas traîner dans le parc d'assistance ou les hospitalitys. Je vais en spéciales voir passer les concurrents. Quel show incroyable ! »
Pensez-vous que Thierry Neuville va être champion cette année ?
« Cela fait déjà quelques années qu'il ne passe pas loin et donc tout le monde espère maintenant qu'il va enfin y arriver. Ogier a fait une bêtise dimanche en Grèce et je crois que ce tonneau a été le tournant du championnat. Maintenant, je me réjouis de revoir rouler Rovanpera. Celui-là c'est une étoile très brillante. »
« Hyundai va se retirer en 2027. On n'organise pas un championnat du monde avec un constructeur et demi. Il faut en attirer d'autres. »
Le rallye traverse actuellement une passe difficile. Les promoteurs cherchent même à revendre le championnat. Pourquoi selon vous ?
« Car cela coûte trop cher par rapport aux retombées. Le ratio n'est pas bon pour un constructeur. Les marques réclament une diminution des coûts et la FIA fait exactement le contraire en rajoutant encore des épreuves. C'est dommage car la discipline reste populaire. Je le vois par exemple encore chaque année au Rally Legend où j'ouvre la route devant 100.000 spectateurs. J'espère que la Fédération va maintenant tenir compte des demandes des constructeurs car Hyundai va arrêter en 2027 et on ne peut pas continuer un championnat du monde avec un constructeur (Toyota) et demi (Ford). »
C'est quoi la solution d'avenir ?
« J'ai participé à un meeting avec les constructeurs en Sardaigne. Ils nous avaient dit qu'on aurait le règlement technique 2027 en septembre. Et maintenant ils reportent à la fin de l'année. Le problème est qu'ils changent d'avis toutes les semaines. Comment voulez-vous qu'un constructeur comme Lancia ou un autre s'engage à moyen terme sans connaître le règlement ? »
L'idée de faire en WRC un peu la même chose qu'en WEC avec l'Hypercar est-elle bonne ? Un châssis tubulaire et des pièces identiques pour tous avec une carrosserie un peu style Silhouette ?
« Non, c'est de la folie. Les marques veulent utiliser le sport auto comme un banc d'essais, pour mettre en avant leur technologie. Dans les années 80, des quatre roues motrices luttaient contre des deux roues motrices. Pourquoi tout vouloir formater ? Certains veulent du thermique, d'autres de l'hybride, de l'électrique ou de l'hydrogène dans le futur. Certains sont pour la traction intégrale, d'autres comme Alpine ont des propulsions. Il est facile aujourd'hui avec les ordinateurs de faire une sorte de BOP entre toutes les technologies plutôt que de vouloir en imposer une. »
Cette Ypsilon HF Rally4 préconise-t-il un vrai retour de Lancia en 2027 pour repartir à la conquête des titres mondiaux ?
« Pour l'instant, c'est un premier pas. Après tout est possible mais attendons d'abord de connaître le règlement. On va d'abord essayer de donner la chance et d'aider des jeunes pilotes à éclore. »
Pourquoi n'y-a-t-il plus de rallymen italien au sommet ?
« Car Lancia a arrêté son implication dans les années 90 et la fédération n'a jamais pris le relais. Il n'y a pas eu de recherche réelle de talent, plus de volant. Lancia est au rallye ce que Ferrari est au circuit. La marque pour laquelle tout le monde veut rouler. Il y a eu Sandro Munari, Attilio Bettega et moi. Piero Liatti et Andrea Aghini ont gagné quelques rallyes mais ne sont jamais battus pour un titre. Aujourd'hui, les pilotes italiens n'ont pas assez de soutien. On a des pilotes rapides en championnat d'Italie, mais dès qu'ils sortent de chez nous cela ne va plus, on ne comprend pas vraiment pourquoi. On veut essayer de relancer une Coupe Lancia pour former les jeunes et aider le meilleur à grimper à l'échelon mondial. C'est un travail de longue haleine. Je suis responsable de ce projet me tenant fort à coeur. J'ai déjà eu l'occasion de tester la Ypsilon durant 150 km sur la terre et je me suis régalé. C'est vraiment une bonne auto de rallye. »
Avez-vous vu le film Lancia contre Audi retraçant la saison 1983 et qu'en avez vous pensé ?
« Oui je l'ai vu et j'ai bien aimé. Beaucoup de choses sont vraies. J'aurais préféré qu'ils reprennent des images d'archives plutôt que de rejouer des scènes avec des 037 et Quattro devenues entretemps historiques. Mais l'histoire de l'homologation par exemple des 037 qui n'étaient pas assez nombreuses est réelle. C'est bien en tout cas pour la discipline qu'il y ait un film sur le rallye. »
« La Delta S4 était bestiale et dangereuse, mais reste ma voiture de rallye préférée. »
Quelle a été votre voiture de rallye préférée ?
« La Delta Integrale au volant de laquelle j'ai remporté mes deux titres était un peu comme ma fille. C'est moi qui l'ai développée et emmenée jusqu'au sacre. Mais ma préférée bien sûr était la S4 Groupe B, bestiale, dangereuse. 600 chevaux pour 900 kg. Le top pour un rallyman. La 037 à côté était plutôt un go-kart avec beaucoup de grip et aussi de puissance. »
Quel est votre meilleur souvenir en Mondial ? Votre premier titre ?
« Non. Mon meilleur souvenir c'est ma victoire au Safari. Cela faisait dix-huit fois que Lancia tentait de gagner le Kenya et n'y arrivait pas. J'ai dit à Cesare Fiorio qu'il fallait changer totalement d'approche. Ne plus débarquer avec une auto rapide, mais plutôt une lente et fiable. Il m'a donné carte blanche. Il m'a dit fait la voiture comme tu veux. On a effectué pas mal de tests et j'ai gagné. Ce fut ma plus belle victoire. »
« Mon meilleur souvenir ? Ma victoire au Safari. Le pire ? La perte de deux amis. »
Et le plus mauvais souvenir de votre carrière ?
« Sportivement, je dirais le troisième titre perdu avec la Ford Escort Cosworth en raison de problèmes mécaniques à répétition. Sinon, les moments les plus pénibles ont bien sûr été la perte de mes deux amis en Corse, Attilio Bettega puis Henri Toivonen. Les deux fois, j'ai été le premier à arriver sur les lieux. C'est moi qui ai appelé les secours. »
Ces accidents ne vous ont-ils pas donné l'envie de tout arrêter ?
« Non, je me souviens que le rallye d'après j'ai terminé deuxième à l'Acropole. Quand vous êtes pilote, vous ne pensez pas à l'accident, du moins pas mortel. C'est une question de destin. Vous pouvez aussi mourir sur la route percuté par un camion. »