WRC Japon: Thierry Neuville est champion du monde ! La longue ascension d'un champion de la persévérance
Il n'y aura donc pas fallu attendre la dernière Power Stage. Dès la première spéciale de la dernière étape, un peu avant minuit chez nous, le leader du rallye Ott Tanak, surpris par de la terre dans une corde, a sousviré et est sorti de la route. A cette seconde, Thierry Neuville qui avait déjà terminé la spéciale et ajustait ses réglages sur la liaison menant vers le 18e chrono était assuré du titre mondial. Martijn Wydaeghe a sauté dans ses bras, accolades ensuite avec son équipier et ami Andreas Mikkelsen. « Wouaw, cela nous a pris par surprise, on ne s'attendait pas à être champion de cette façon, » s'est exclamé Thierry à l'arrivée de la spéciale suivante. « C'est triste pour Ott, mais nous le méritons. La saison a été remplie de challenges. On a géré la première position depuis notre victoire à Monte-Carlo. Maintenant on va pouvoir attaquer sans relâche pour essayer de récupérer le titre constructeurs pour Hyundai ! »
C'est fait, les supporters n'auront pas dû attendre le petit matin pour être libérés et ont vécu une véritable nuit d'ivresse à fêter le premier sacre mondial de Thierry Neuville et Martijn Wydaeghe. Après cinq titres de vice-champion et treize saisons au sommet du WRC, ce titre est celui du jusqu'au-boutisme au terme d'une longue ascension parsemée d'embuches.
Héritage familial, fan de Bruno Thiry
Après le quad et l'autocross, le Saint-Vithois a débuté sa carrière comme copilote. Après s'être fait recaler au Ford Rally Contest... Mais l'une des principales qualités de Thierry Neuville est la persévérance. L'ex-tourneur-fraiseur ne lâche jamais rien. Et va toujours au bout de ses idées. Retour sur les principales étapes d'une formidable carrière.
Joueur de football dans l'équipe locale, rien ne prédestinait à la base Thierry Neuville à une grande carrière en rallye. Rien sauf son papa, Alain, passionné de sport auto. Quoi de plus logique quand on habite à un quart d'heure du circuit de Francorchamps et que la star du village s'appelle Bruno Thiry. Thierry a sept ans quand « Moustic » qui deviendra plus tard son ouvreur doit abandonner sa première victoire mondiale au Tour de Corse à Didier Auriol, victime d'une avarie sur sa Ford Escort Cosworth à deux spéciales du bonheur.
Alain est un spectateur assidu. Il emmène ses fils camper à Francorchamps ou au Nürburgring pour assister aux courses de 24H. Mais ce sont surtout ses visites aux Boucles de Spa et au Rallye du Condroz qui marquent Neuville Jr. Il n'a pas encore six ans, mais est bien décidé : il veut faire du rallye quand il sera grand « car c'est plus spectaculaire. »
Il commence à développer son sens de la glisse au guidon d'un quad, d'abord loué un week-end puis acheté tellement le gamin prenait du plaisir avec cet engin dans les chemins et prairies avoisinants.
Puis, alors que Thierry n'a pas encore le permis, à seize ans à peine, la famille investit dans une voiture d'autocross. On passe les week-ends sur les pistes de boue et le reste du temps à bricoler sur l'engin que le gamin manie avec une certaine dextérité.
Recalé au Ford Rally Contest, débuts comme copilote !
Début 2007, sa licence en poche et confiant, Thierry Neuville s'inscrit au Ford Rally Contest. Mais le Germanophone se fait recaler dès l'interview... car il ne parle pas un mot de Français et encore moins de Néerlandais ou d'Anglais.
Six mois plus tard, il participe néanmoins à son premier rallye, l'annexe provinciale de l'East Belgian dans le baquet de droite de la Citroën Saxo de son ami Markus Meyer. Une première s'achevant prématurément quand un arbre traverse la route juste devant eux dès la 3ème spéciale.
Il est plus prudent de passer derrière le volant et le tout jeune pilote de 18 ans investit alors dans une Opel Corsa Groupe A avec laquelle il termine deuxième de l'annexe du Rallye du Luxembourg avec à ses côtés son pote Achim Maraite qui n'a jamais eu un pilote aussi rapide.
La 2ème est la bonne avec Ford, Michel Lizin lui ouvre les portes du Mondial
Diplômé en technique, le jeune homme travaille comme tourneur-fraiseur et prend des cours de Français afin de se représenter mieux armé au Ford Rally Contest qu'il remporte cette fois haut la main. « Tous mes amis me disaient que jamais un Germanophone ne remporterait ce volant. Je leur ai donné tort. »
C'est donc aux commandes d'une Fiesta Trophy qu'il débute la saison 2008, chez lui à Saint-Vith. Avec comme résultat une 19e place absolue, 4e du Trophy derrière Anthony Martin, Cédric Cherain et Xavier Baugnet.
Intégré de suite au naissant RACB National Team dont s'occupe le jeune Geoffroy Theunis, il reçoit l'inspection sur cette épreuve d'un certain Michel Lizin, journaliste et dénicheur de talents. L'ancien manager de Bruno Thiry et François Duval est de suite impressionné. « Pas par son Français, » rigole-t-il. « Mais bien ses freinages tardifs. »
Cette première saison est faite de hauts et de bas avec des premiers succès, mais aussi des abandons sur casses mécaniques ou sorties. Au Haspengouw, Thierry explose son moteur après avoir endommagé son radiateur. La franchise est à ses frais, mais il n'a pas les moyens de la payer. La fédération décide alors qu'il ne sera pas au départ du Condroz pour récupérer son argent. Une décision que n'accepte pas le jeune loup germanophone qui débarque chez Floral Racing avec son père et un moteur racheté d'occasion dans une casse qu'il passe la nuit à remonter pour être au départ à Huy où Anthony Martin est sacré. Il prend ensuite des cours accélérés d'Anglais (payés par l'AMC Saint-Vith) pour participer au Red Bull shoot out en Autriche.
Jean-Joseph et Bugalski ont cru en lui, débuts en S2000 à Ypres grâce à BF Goodrich et aux journalistes
Dès 2009, notre espoir continue à accumuler de l'expérience, en Belgique puis à l'étranger, au volant de différentes Citroën C2 R2 puis Max. Michel Lizin parle de lui à Simon Jean-Joseph, responsable de la compétition clients pour Citroën, qui décide directement de l'aider en lui permettant notamment de participer à plusieurs rallyes et séances de tests lors desquelles il se lie d'amitié avec Philippe Bugalski. L'ex-champion de France et vainqueur de Mondial croit beaucoup en Thierry et lui permet de rouler dans de très bonnes conditions sur l'une de ses autos.
A la mi-saison, la pépite belge est sélectionnée par un jury de journalistes belges pour participer à Ypres aux commandes de la Peugeot 207 Kronos aux couleurs de BF Goodrich. Et là encore, dès ses débuts en S2000, Neuville impressionne. « Il a signé le meilleur temps lors du shake down deux secondes devant tout le monde, » se souvient Marc Van Dalen.
Même si cela se termine par une sortie après quelques spéciales, le patron de Kronos est bluffé et s'en va convaincre Peugeot Belgique de miser sur lui pour les saisons 2010 et 2011 en IRC. Il change de copilote et embarque l'expérimenté Nicolas Klinger, l'ex-équipier de Vouilloz.
Mais cela ne se passe pas bien. Neuville est un chien fou et multiplie les erreurs. Au point qu'à Madère, après une enième faute, Van Dalen doit se fâcher tout rouge : « Il en a pleuré le pauvre, mais j'ai fait cela pour son bien. »
Premières victoires en IRC avec la Peugeot Kronos, débuts en WRC avec Citroën
Et cela fonctionne. Car dès 2011, après avoir repris à ses côtés Nicolas Gilsoul, Thierry s'impose en Corse et au Sanremo. Et s'il ne termine au final que 5e de l'IRC remporté par son ami Andreas Mikkelsen, derrière Freddy Loix, il remporte en fin de saison la Golden Stage à Chypre, un avant-goût des futures Power Stages dans lesquelles il a toujours excellé.
Michel Lizin a au préalable pris le soin de dire à Xavier Mestelan, directeur sportif de Citroën Racing transitoire après le départ d'Olivier Quesnel, de regarder cette Golden Stage à la télé. Et convaincu par le talent naissant de notre compatriote, il lui propose d'intégrer le Citroën Junior Team. Thierry se retrouve donc au départ du Monte-Carlo au volant d'une DS3 WRC quatre ans à peine après avoir été repéré par le jury du Ford Rally Contest by RACB. On peut réellement parler d'une ascension fulgurante.
Premier titre de vice-champion avec M-Sport en 2013
Grâce à l'arrivée d'Yves Matton à la tête des Chevrons, son programme partiel devient vite complet. Il termine septième du Mondial et négocie pour la saison 2013 quand on apprend que Geoffroy Theunis devient son manager. Trop gourmand pour Citroën cherchant le nouveau Loeb, il passe chez Ford avec un programme complet financé par Malcolm Wilson (il le remboursera durant de longues années) et son équipier prince du Qatar Nasser Al Attiyah. Un coup de maître puisque l'équipage belge décroche ses premiers podiums en WRC et le premier de ses cinq titres de vice-champion du monde.
Première de ses 21 victoires avec Hyundai au Deutschland 2014
Hyundai débarque à ce moment en Mondial et choisit notre compatriote comme fer de lance. Bien leur en prend puisque dès l'Allemagne, alors qu'ils avaient pourtant effectué des tonneaux dans les vignes lors du shake down, Thierry et Nicolas décrochent leur premier succès Mondial.
En une décennie, notre ambassadeur en alignera vingt autres.
Mais la fiabilité n'est pas le point fort ni du pilote ni de sa monture. Se sentant obligé souvent de surpiloter pour compenser le handicap de sa monture, Thierry commet des erreurs et doit se contenter quatre saisons de suite (de 2016 à 2019) du titre de vice-champion. En 2018, on peut dire que c'est plutôt de sa faute, l'année d'après celle de la voiture.
Thierry en a marre et quand il voit le champion Ott Tanak débarquer à ses côtés avec la couronne pour gagner quelques millions de plus, il tente secrètement le chemin inverse. Mais les négociations avec Toyota se passent mal et Tommi Makinen renvoie le manager du Belge compter ses sous chez les Coréens.
Premier succès au Monte-Carlo
Un an plus tard, Thierry remporte son premier Rallye de Monte-Carlo. Un moment historique. Et un an plus tard, à quelques jours à peine de remettre son titre monégasque en jeu, il licencie son équipier Nicolas Gilsoul sur le champ. La fin d'une fructueuse association. L'équipier liégeois a payé cher sa franchise, notamment lorsque Hyundai a fait un gros mensonge au monde entier pour couvrir une erreur d'Alain Penasse au Rallye de Monza où Neuville n'a pas été autorisé à repartir. Après plus de trois ans de procédure, Gilsoul obtiendra (en échange de son silence) un bon dédommagement pour le préjudice subi et la manière peu élégante dont il a été remercié après plus de dix ans de bons et loyaux services.
Martijn Wydaeghe prend sa place, sa voix et s'en sort plutôt très bien. Mais cette fois c'est le jeune prodige Kalle Rovanpera qui vient par deux fois barrer la route du titre à notre meilleur rallyman. Pire, depuis 2019, il n'arrive même plus à monter sur la deuxième marche du podium final. Plus d'un se serait découragé, aurait jeté le gant. Mais pas Thierry Neuville. Teigneux, persévérant, travailleur, il profite cette année de l'absence conjointe à temps plein des deux champions Rovanpera et Ogier pour mener toute la saison. Et alors que certains redoutaient le retour à ses côtés d'Ott Tanak, il réussit à prendre, dès le Monte-Carlo, l'ascendant mathématique et psychologique sur l'Estonien.
Plus mâture, plus calculateur, il signe deux victoires, six podiums et ne laisse plus personne cette fois le priver, à 36 ans (comme Didier Auriol en 1994), d'un premier titre mondial cent fois mérité près de dix-sept ans après avoir remporté le volant Ford. Contrairement aux Finlandais Mikko Hirvonen et Jari-Matti Latvala, Thierry Neuville ne restera donc pas un éternel dauphin, un champion sans couronne. Il a rejoint les plus grands. Pour le plus grand bonheur d'un pays de sport automobile tout entier.
Photo Hyundai Motorsport.


